18 octobre 2012

dieu (tu permets que je m’adresse à toi en minuscule ?)

pour te parler franchement, je trouve que tu n’as pas été très cool avec mon enfance. Rien de grave, mais bon, aujourd’hui il faut que je t’en parle, parce que sinon, ça va continuer de me poursuivre, et j’aime pas l’idée de garder ça sur le coeur.

tu disais de laisser venir à toi les petits enfants, mais où étais-tu lorsque les grands me volaient mes lunettes dans le bus de l’école primaire et les jetaient entre eux pour ne pas que je les attrape, ce dont j’aurais été bien incapable, puisque sans lunettes je n’y voyais rien… où étais-tu lorsque en 6eme Raoul H me poussait et me faisait tomber sur les tables à la fin des cours parce que ma tête d’intello à lunettes ne lui revenait pas. Où étais-tu pendant ces nuits où je pleurais d’être différente et où je ne comprenais même plus pourquoi j’étais en vie ?

j’en entends déjà qui diront que c’est dans l’adversité qu’on devient plus fort, mais c’est faux… l’adversité rend fort lorsque tu as déjà en toi les bases d’amour et de confiance en soi, et je les ai perdues au fur et à mesure que je perdais ma vision.

je regarde la photo de classe de CE2 et je vois une petite fille souriante, les épaules redressées, elle a l’air heureuse ; je la retrouve sur la photo de CM1, on la devine repliée sur elle-même, crispée, timide. La seconde, curieux hasard, porte des lunettes.

ton fils guérissait des aveugles… 

.. entre nous, c’est juste un gros coup de communication, non ? pour impressionner les fidèles ?

non, parce que à Paris, et dans le monde, dans des cliniques, tous les jours, nous avons des médecins qui soignent les yeux et sont capables de rendre à des gens comme moi, ces précieux dixièmes. Ces chirurgiens qui changent la vie des gens, eux, ne créent pas de religion, on ne leur édifie pas d’églises pour chanter leurs louanges. Quel paradoxe, tu ne trouves pas ?

bref… si tu as voulu me mettre à l’épreuve, tu as dû être bien déçu. 

oui, ça aurait pu me rendre forte. D’autres ont connu bien pire comme enfance et en sont sortis grandis. Moi je continue de vivre sur ce fond de colère, de peur du jugement des autres, de manque de confiance, et cette immense envie d’être aimée, rassurée.

ce jeudi 18 octobre 2012, je suis allée me faire opérer de la myopie dans une clinique à Paris. Je n’en dors plus la nuit, parce que je n’arrête pas d’ouvrir les yeux pour chercher l’heure sur mon réveil, et je vois les chiffres. Le soir, je continue de me dire que c’est l’heure d’aller retirer les lentilles de contact. Je me demande combien de temps il me faudra pour m’habituer. Mais ça ne me rendra pas les moments que j’aurais pu vivre dans mon enfance si tu m’avais laissée être normale, juste normale… comme tout le monde.